Aller au contenu

 

Un nouvel éclairage sur la diversité culturelle

Le professeur Sébastien Lebel-Grenier rappelle que le Canada s'est construit sur l'immigration : «Il y a eu des vagues d'accueil beaucoup plus importantes que ce que l'on connaît aujourd'hui.»
Le professeur Sébastien Lebel-Grenier rappelle que le Canada s'est construit sur l'immigration : «Il y a eu des vagues d'accueil beaucoup plus importantes que ce que l'on connaît aujourd'hui.»
Photo : Michel Caron

20 mars 2008

Diane Bergeron

Dans un article paru dans le journal Liaison du 8 mars 2007, le professeur Sébastien Lebel-Grenier qualifiait la fièvre médiatique entourant les accommodements raisonnables de «débat qui confond accommodements raisonnables et rapports de bon voisinage, qui s'appuie sur des cas isolés montés en épingle et qui fait l'objet d'une récupération électoraliste malsaine». Qu'en est-il un an plus tard?

Avec une population totale de 31,6 millions d'habitants et un flot d'immigrants excédant 250 000 personnes par année, le Canada a l'un des plus hauts taux d'immigration à l'échelle mondiale. Le débat sur les accommodements raisonnables laisse croire que notre pays est confronté à une diversité nouvelle qui remet en question le vivre ensemble.

Il n'en est rien, selon Sébastien Lebel-Grenier, vice-doyen à la recherche et aux études supérieures à la Faculté de droit et directeur du groupe de recherche Société, droit et religion de l'Université de Sherbrooke (SODRUS) : «Le Canada est un pays qui s'est construit sur l'immigration. Il y a eu des vagues d'accueil beaucoup plus importantes que ce que l'on connaît aujourd'hui.»

Ce passé peut-il éclairer le présent et inspirer l'avenir? C'est l'intuition qui a amené les chercheurs du groupe SODRUS à sonder l'histoire du multiculturalisme canadien. Émanant des facultés de Droit, des Lettres et sciences humaines de même que de Théologie, d'éthique et de philosophie, ces spécialistes ont entamé un vaste cycle d'études sur la question. Dans la foulée, ils ont récemment tenu leur 4e colloque international sous le thème Aux racines du multiculturalisme : l'État et la diversité culturelle et religieuse au Canada, de 1800 à 1914. «De cette réflexion, nous souhaitons dégager une certaine relativisation des enjeux actuels, mais surtout une meilleure compréhension des potentialités qu'ils recèlent et, peut-être, des pistes de solution pour mieux construire notre vivre ensemble», soutient le professeur Lebel-Grenier.

Que nous apprend l'histoire?

Le Canada a longtemps connu deux types d'immigration : l'une urbaine, l'autre dite de peuplement. Au 19e siècle, les immigrants qui s'installaient dans les villes apprenaient l'anglais, qui était alors la langue du pouvoir, de l'économie et du savoir. Une autre forme d'immigration se retrouvait en dehors des milieux urbains. Destinée à peupler le pays, celle-ci faisait l'objet de mesures incitatives. C'est ainsi que des communautés établies dans l'Ouest canadien ont obtenu le droit à des écoles séparées, où l'éducation se faisait dans leur langue d'origine et selon leurs coutumes religieuses. C'est le cas par exemple de la communauté russe dans les années 30.

Au Québec, la situation était différente. Lors de la conférence qui clôturait le colloque du groupe SODRUS, Julius Grey comparait le Québec du 19e siècle aux nations européennes émergentes de la même époque : «Les francophones formaient des communautés rurales, repliées sur elles-mêmes, peu éduquées et qui contribuaient largement à la natalité.» Il n'y avait donc pas d'immigration de peuplement dans le Québec rural, et l'immigration urbaine, quant à elle, s'intégrait généralement à la communauté anglophone.

«Cette situation ne nous a pas empêchés de créer une société fonctionnelle, relativement cohérente, ni de se doter d'un cadre respectueux des droits de chacun», fait remarquer le professeur Lebel-Grenier. Cette société relativement cohérente repose principalement sur l'importance qu'a prise le fait français et sur le métissage culturel qui s'est opéré progressivement. Heureusement, car suivant le raisonnement de Julius Grey, le cloisonnement des communautés culturelles mène à la discrimination et à l'exclusion sociale.

Faut-il réglementer en matière de langue et de religion?

À la lumière des cas d'accommodements religieux, et vu les préoccupations amenées par ce qui semble être une montée de l'intégrisme dans les pays occidentaux, on peut s'interroger sur la pertinence de limiter les droits religieux. «Le rôle de la religion dans la vie sociale a différé selon les époques, répond Sébastien Lebel-Grenier. Si on a déjà cru nécessaire de limiter la diversité religieuse, les croyances sont maintenant considérées comme une affaire personnelle. C'est d'ailleurs la liberté de religion qui constitue un fondement de notre société.»

Le partage d'une langue commune, bien qu'il ne soit pas une valeur fondamentale protégée dans nos chartes des droits et libertés, est assurément l'un des éléments fondamentaux qui rendent possible une cohésion sociale. Le professeur Lebel-Grenier croit par conséquent qu'il est normal d'exiger l'apprentissage de la langue française aux nouveaux arrivants.

Perspectives d'avenir

Le professeur Lebel-Grenier a suivi de près les travaux de la commission Bouchard-Taylor. «La vaste majorité des propos tenus lors des audiences étaient sensés et rendaient compte de réels efforts de compréhension de part et d'autre», souligne le spécialiste des droits fondamentaux. Il salue le fait que les partis politiques ne soient pas trop tombés dans le populisme et qu'il n'y ait pas trop eu de dérapage médiatique : «Le débat s'est déplacé vers les enjeux de gestion de la diversité et de construction d'un modèle de vivre ensemble, ce que je trouve très encourageant!» Le chercheur réserve toutefois ses commentaires finaux pour la sortie du rapport de la commission.

Qu'est-ce qu'un accommodement raisonnable?

L'accommodement raisonnable est un mécanisme juridique qui permet de modifier des pratiques pour répondre à des revendications fondées sur des droits. Pour qu'un accommodement soit raisonnable sur le plan juridique, il ne doit pas porter atteinte à la mission de l'organisation en cause, aux droits des autres citoyens ou à des valeurs fondamentales de la société, ni amener de coûts excessifs.